* PLAGIATS : la bibliographie-alibi ou la stratégie de la lettre volée

Posté par Jean-Noël Darde

Cet article suit celui  intitulé « Traitement des thèses-plagiats et faux-semblants [1] : le cas d’Amiens » publié à la rubrique Wikiplagiat.

Avant propos :
On trouvera à nouveau cités dans cet article, et dans d’autres articles à venir, les noms de collègues de l’Université Paris 8. On doit le comprendre non comme un acharnement quelconque vis-à-vis des personnes, mais comme la conséquence logique de la rigueur de nos études sur le plagiat dans les travaux universitaires.
Pour les raisons longuement exposées dans l’article « Les pieds dans le plagiat », nous avons entrepris, et en avions la légitimité, d’étudier ce phénomène à partir d’un premier corpus de travaux en lien avec notre département Hypermedia de l’Université Paris 8. Il est donc logique que les plagiats découverts puissent impliquer fréquemment, à des titres divers, des collègues de ce département et du Laboratoire Paragraphe qui lui est associé. Ma méthode consiste à exploiter rigoureusement les premiers résultats acquis, de repérer les traces, tirer les fils et suivre les nouvelles pistes mises à jour. C’est ainsi que parti de plagiats à Paris 8, nous sommes arrivé aux plagiats à Nancy 2 (cf. * Nancy 2 : un cas de thèse-plagiat). Les plagiats de Nancy 2 nous ont à leur tour conduit à de drôles de plagiats dans une thèse de Nancy 1 que nous présenterons prochainement sur ce blog (article à paraître, Nancy 1 : Le plagiaire vous remercie !). De même, l’analyse de la thèse-plagiat de Majed Sanan nous a conduit à la production peu banale d’une rafale d’articles-plagiats co-signés par celui-ci avec son directeur de thèse; articles dont l’un, accessible depuis le très prestigieux site http://ieeexplore.ieee.org/, est étudié dans l’article ci-dessous.
Pour ne retenir que ce dernier cas, il paraîtrait particulièrement paradoxal que les « auteurs » de cet article et d’une série d’autres de même nature, qui ont fait et font tant d’efforts pour les divulguer et faire figurer leurs noms dans des publications de références, et qui s’en prévalent dans leur curriculum  vitae mis en ligne, se plaignent aujourd’hui de la publication de leurs noms sur ce blog à l’occasion de l’analyse de  ces mêmes articles.
Enfin, nous n’avons aucune réserve pour diversifier nos terrains. La preuve en est notre travail sur la thèse d’Amiens qui n’a aucun lien avec notre corpus de départ de Paris 8. Il nous a été soumis par des lecteurs de ce blog, raison qui justifie que le principal article qui en traite (« Traitement des thèses-plagiats et faux-semblants [1] : le cas d’Amiens« ) a été mis en ligne dans la rubrique « Wikiplagiat » de ce blog.
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La bibliographie-alibi ou la stratégie de la lettre volée

Les cas de plagiats dans des thèses, mémoires et articles que nous avons étudiés, en partie déjà présentés sur ce blog, nous ont conduit au constat suivant : les plagiaires, dans leur majorité, font à un moment ou à un autre figurer en toutes lettres les sources de leurs plagiats. Ces sources  des documents plagiés apparaissent dans les paratextes : bibliographie, notes en bas de pages ou à la fin du texte, parenthèses insérées dans le texte.

Cette situation peut être rapprochée de celle imaginée par Edgar A. Poe dans La lettre volée (The Purloined letter). Se sachant à la merci de perquisitions, un ministre, détenteur d’un courrier volé et décidé à l’utiliser pour exercer un chantage, le cache avec le plus grand soin dans sa demeure. Les visites et recherches du Préfet de police seront vaines malgré des fouilles très poussées : décollage des papiers peints, recherche dans les parquets, examens des lits, courtines de lits, meubles, jusqu’aux « bâtons de toutes les chaises»…

Le Préfet évoque cet échec devant un ami du narrateur, Dupin, qui découvre la solution : la lettre s’avère « cachée » près du bureau du maître chanteur, à la vue de tout le monde. Elle était tellement mise en évidence  et si peu cachée qu’un policier ne pouvait imaginer qu’il pouvait s’agir de la lettre « volée ».

Dans le cas de nos plagiaires, il est difficile de ne pas voir aussi un choix raisonné dans leur habitude de faire figurer les sources de leurs propres plagiats. S’agirait-il du choix d’une stratégie de dissimulation, comparable à celle du ministre de la nouvelle d’Edgar Poe ? La mise en évidence aux yeux de ses lecteurs des sources de ses plagiats serait alors, pour le plagiaire, la meilleure garantie de ne pas être découvert tant un lecteur n’oserait imaginer qu’un plagiaire puisse décider d’offrir les clefs de ses plagiats.

Rien ne vaut la présentation d’exemples concrets pour tenter de mieux comprendre ces situations. La thèse-plagiat présentée dans un précédent article (Traitement des thèses-plagiats et faux-semblants [1] : le cas d’Amiens) offre une excellente illustration de ces sources de plagiats affichées. Sous son aspect plagiat, cette thèse est d’autant plus intéressante qu’elle a été rédigée par un professeur agrégé, un plagiaire soucieux et capable de  bien faire les choses.

Dans cette thèse, sauf quelques rares exceptions, les sources des nombreux plagiats repérés par EEE (cf. article déjà cité ci-dessus) figurent dans la bibliographie dans le respect des normes de référencement en la matière. La majorité des ouvrages plagiés cités dans la bibliographie se retrouvent aussi référencés en notes bibliographiques de bas de page en relation à de courtes citations clairement délimitées dans les pages correspondantes.

Ainsi, l’ouvrage de Christine Buci-Glucksmann, L’œil cartographique de l’art (1996, Éditions Galilée), apparaît non seulement dans la bibliographie mais aussi à trois reprises en notes de bas de page.

En réalité, les trois brèves citations « déclarées » de cet ouvrage, qui mises bout à bout comptent moins de 30 mots, sont noyées dans plus de dix pages de plagiats serviles issus du même livre que les courtes citations.

Le plagiat « pâté d’alouette et de cheval »

Nous publions in extenso un deuxième exemple que nous avons découvert dans la même thèse d’Amiens. Nous nous étions particulièrement intéressé  au chapitre La puissance du possible parce qu’il traitait de la vérité, du mensonge, du canular et de la rumeur. Nous avons pensé qu’avec un tel menu, le plagiat aurait sa place. Ce chapitre illustre en effet à la perfection cette combinaison de citations et de plagiats exécutée selon la recette du pâté d’alouette et de cheval : une citation d’alouette pour un plagiat de cheval. Les deux citations d’alouette sont données ci-dessous, et les plagiats de cheval, encombrants, ont été relégués à la fin de cet article.

L’article cité et plagié, « Gossip, intox, bluff et autres rumeurs » co-signé par Mathilde Villeneuve et Claire Moulène, accessible sur le site de la Revue 02, à : http://www.zerodeux.fr/wp-content/uploads/numeros/revue02numero41.pdf. Cet article est référencé avec précision à deux occasions dans des notes de bas de page du chapitre La puissance du possible (Partie III, Rumeur) de la thèse. Il représente la principale, mais non l’unique, source plagiée par XXX dans ce chapitre.

Les deux paragraphes, qui incluent chacun une citation de cet article placée entre guillemets, sont reproduits en entier. Chacune des citations est suivie d’un appel de note qui renvoie en bas de page à une note bibliographique sur sa source. Nous avons fait figurer en vert les couples citation et note bibliographique.

Thèse de XXX, p. 135 :

La signature au verso de la photo lui donne presque une valeur de relique ; ou encore, dans une perspective plus contemporaine, de fétiche, comparable à la signature d’une pop star. On dit que « Bas Jan Ader rejoint une île déserte où il coule des jours heureux depuis son énigmatique disparition en mer 1975. » (1) (1) Mathilde Villeneuve et Claire Moulène, Revue 02, « Gossip, Intox, Bluff, et Autres Rumeurs », n° 41, trimestriel, Printemps 2007, Nantes, édité par l’association Zoo galerie, p. 11.

Thèse de XXX, p. 142 :

Entre le canular, la propagande, le mythe, la légende urbaine et la théorie du complot, la rumeur constitue aujourd’hui l’un des phénomènes de transmission les mieux partagés. Sa volonté acharnée de se propager, en usant aussi bien d’internet que du simple bouche à oreille, procède de sa survie. Comme le virus, elle ne peut exister que dans son développement, quitte à s’adapter pour survivre. Des règles d’omission, en passant par l’imitation et la contagion, elle convoque sans relâche diverses stratégies, la principale étant la diffusion, qui constitue une méthode et une fin en soi. « La rumeur est son propre média » (1) et elle se voit utilisée comme telle par les artistes. Si elle prétend se baser sur une réalité, elle peine à prouver son existence propre, et tente d’y remédier en alimentant progressivement une fiction. Irrésistible, la rumeur s’énonce avant tout comme une histoire séduisante et improbable qui donne envie d’être racontée. (1) Mathilde Villeneuve et Claire Moulène, Revue 02, n° 41, trimestriel, « Gossip, Intox, Bluff, et Autres Rumeurs », op. cit., p. 11.

On trouvera à la fin de cette étude la reproduction intégrale de l’article de  Mathilde Villeneuve et Claire Moulène. Les deux courts passages cités et correctement référencés dans la thèse y figurent toujours en vert. Notons que ces deux passages appartiennent au début de cet article. Les longs emprunts non déclarés par XXX, c’est à dire des plagiats qui figurent dans le même chapitre La puissance du possible de sa thèse, s’affichent en rouge.

Nous emprunterons notre troisième exemple à un des articles co-signés par Majed Sanan, Mahmoud Rammal et Khaldoun Zreik. Cet article, Internet arabic search engines studies, a été présenté à l’ICTTA’08, parrainé par l’IEEE. Khaldoun Zreik figurait parmi « l’International Scientific Advisory Committee » de ce colloque international.  L’article est depuis en ligne sur le site http://ieeexplore.ieee.org (L’IEEE, selon sa direction « la plus importante association au monde pour la promotion de la technologie », est une association  américaine reconnue internationalement, notamment dans le domaine de l’informatique. Parmi ses activités, cette association organise, ou parraine, de nombreux colloques et publications). Nous avions déjà mentionné cet article, sur lequel nous reviendrons ultérieurement, à la fin d’Autopsie d’une thèse-plagiat, suite (cf, partie « Étude inachevée »). Pour l’instant nous nous limiterons à en citer les plagiats (« copier-coller ») issus d’une seule source,  Empirical Studies in Strategies for Arabic Retrieval, un article co-signé six ans auparavant (2002) par Jinxi Xu, Alexander Fraser et Ralph Weischedel.

Une précision supplémentaire : trois séquences de « copier-coller » figurent ci-dessous en bleu. Nous y avons cependant distingué les appels de notes et une référence bibliographique insérée dans le texte. Ils apparaissent soit en rouge, soit en vert. À la fin de l’article les références bibliographiques associées à ces notes  sont donc aussi rouges ou  vertes.

Les significations de ces choix chromatiques sont les suivantes : les deux appels de notes [1] et [10] et la mention « (Noamany, 2001)« , en rouge, correspondent à des renvois bibliographiques qui appartiennent au texte d’origine, la source du plagiat. Ces appels de notes, comme les deux référencements bibliographiques (Ahmed Abdelali….. et James Mayfield…..), aussi en rouge à la fin de l’article, font donc partie des plagiats.

Par contre, les deux occurrences d’appel de note « [2] », en vert, n’appartiennent pas au texte de la source du plagiat et ont été placées par les plagiaires. Elles renvoient à l’article qu’ils ont  plagié et dont ils donnent les références : « Xu, A Fraser….. ».

Pour le lecteur, il est indiscutable que les deux appels de notes « [2]« , qui renvoient  au référencement de l’article Xu, Fraser et Weischedel, portent uniquement sur deux brèves remarques — « Arabic has a very complicated morphology », et « short vowels are omitted in written Arabic texts » — qui constituent le deuxième et le cinquième points d’une présentation en six points. C’est pourtant, non seulement toute la première séquence où apparaissent ces deux appels de note, mais, la totalité des deux autres séquences reproduites ci-dessous que Majed Sanan, Mahmoud Rammal et Khaldoun Zreik  ont « copier-coller » depuis la même source, alors que ces trois séquences sont données à lire comme étant rédigées par eux.

Nous avons pris soin dans la reproduction du texte ci-dessous de respecter les passages à la ligne de l’article-plagiat.

INTERNET ARABIC SEARCH ENGINES STUDIES

First, orthographic variations are prevalent in Arabic [1]; certain combinations of letters can be written in different ways.

For example, sometimes in glyphs combining HAMZA or MADDA with ALEF the HAMZA or MADDA is dropped, rendering it ambiguous as to whether the HAMZA or MADDA is present.

Second, Arabic has a very complicated morphology.[2]

Third, broken plurals are common.

Broken plurals / often do not resemble the singular form, / they do not obey normal morphological rules, / and they are not handled by existing stemmers.

Fourth, Arabic words are often ambiguous due to the tri-literal root system. In Arabic, a word is usually derived from a root, which usually contains three letters. In some derivations one or more root letters may be dropped, rendering high ambiguity between Arabic words with one another.

Fifth, short vowels are omitted in written Arabic texts.[2] Sixth, synonyms are widespread, perhaps because the variety in expression is appreciated as part of a good writing style by Arabic speakers (Noamany, 2001).

[…]

Arabic orthography is highly variable.

For instance, changing the letter YEH (?) to ALEF MAKSURA (?) at the end of a word is very common. (Not surprisingly, the shapes of the two letters are very similar). Since variations of this kind usually result in an “invalid” word, in our experiments we detected such “errors” using a stemmer (the Buckwalter Stemmer) and restored the correct word ending.

A more problematic type of spelling variation is that certain glyphs combining HAMZA or MADDA with ALEF (e.g. ? ,?? and ?) are sometimes written as a plain ALEF (?), possibly because of their similarity in appearance. Often, both the intended word and what is actually written are valid words.

This is much like confusing “résumé” with “resume” in English. Since both the intended word and the written form are correct words, it is impossible to correct the spellings without the use of context.

absence of training data, we will assume that all the words in the set are equally probable.

4.3 Arabic Stemming

Arabic has a complex morphology. Most Arabic words (except some proper nouns and words borrowed from other languages) are derived from a root. A root usually consists of three letters. We can view a word as derived by first applying a pattern to a root to generate a stem and then attaching prefixes and suffixes to the stem to generate the word [10]. For this reason, an Arabic stemmer can be either root-based or stem-based. […] Arabic is one of the most widely used languages in the world, yet there are relatively few studies on the retrieval of Arabic documents.

[1] Ahmed Abdelali. Improving Arabic Information Retrieval Using Local variations in Modern Standard Arabic, New Mexico Institute of Mining and Technology, 2004.

[2] Xu, A. Fraser, and R. Weischedel. 2002. Empirical studies in strategies for Arabic information retrieval. In SIGIR 2002, Tampere, Finland.

[10] James Mayfield, Paul McNamee, Cash Costello, Christine Piatko, and Amit Banerjee, JHU/APL at TREC 2001: Experiments in Filtering and in Arabic, Video, and Web Retrieval. In E. Voorhees and D. Harman (eds.), Proceedings of the Tenth TextREtrieval Conference (TREC 2001), Gaithersburg, Maryland, July 2002.

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Ces exemples présentés, ce phénomène constaté de la présence dans les textes des plagiaires de références aux sources plagiées, il reste à mieux comprendre ce choix des plagiaires de faire figurer dans leurs travaux les références de leurs plagiats.

Si c’est la stratégie de la Lettre volée qui est ici mise en œuvre, alors on peut supposer au plagiaire  le raisonnement suivant : au cas où le lecteur, soupçonnant des plagiats, se déciderait à partir à la recherche de preuves et donc à la recherche de leurs sources, il paraît logique qu’il ignore toutes les sources bibliographies déjà référencées dans le document en question. Il peut en effet difficilement imaginer que le plagiaire  ait mis en évidence sous ses yeux les sources de ses propres plagiats. En l’occurrence, si le lecteur soupçonneux exclut de ses recherches les sources recensées en bibliographie, il ne trouvera donc  jamais les sources, et donc des preuves, des plagiats.

Cette stratégie du plagiaire, qui s’adresse à des lecteurs candides, offre une double protection. Puisqu’au cas où elle échoue, par la faute d’autres lecteurs moins candides et plus perspicaces, ces référencements des sources de plagiats présents dans la thèse, ou l’article, ont valeur d’alibi, de preuves de sa bonne foi : il ne peut s’agir que de malencontreux oublis de guillemets, puisque les sources ont bien été signalées dans la bibliographie. Comme nous l’avons vu, dans le cas de la thèse d’Amiens, la Section disciplinaire de l’Université de Picardie  (« Attendu que la plupart des auteurs plagiés ont été cités en bibliographie ») en a fait une circonstance atténuante.

Mais si le lecteur n’a pas la candeur attendue, le risque de cette stratégie de La lettre volée est, après la découverte d’un premier plagiat, de faciliter la découverte des autres. Pour reprendre le cas du chapitre déjà évoqué de la thèse d’Amiens, nous n’avons pas le moindre doute que d’autres plagiats occupent l’essentiel de ce chapitre et que l’on trouvera leurs sources parmi les textes référencés en bas de page où à la fin de la thèse.

Dans le cas de l’article Internet arabic search engine studies, la source de plagiat, Empirical Studies in Strategies for Arabic Retrieval, a été d’autant plus aisée à repérer que nous l’avions déjà distinguée à quatre reprises comme source de plagiats : une première fois dans la thèse de Majed Sanan, puis dans trois autres articles co-signés par M. Sanan, M. Rammal et K. Zreik. Pour le reste de l’article, la solution était donc de s’en tenir d’abord aux références auxquelles renvoyaient les notes. La note [1], « Ahmed Abdelali. Improving Arabic Information Retrieval Using Local variations in Modern Standard Arabic, New Mexico Institute of Mining and Technology, 2004.« , annonce en effet une autre source de plagiat, la principale. Deux autres notes sont associées à des plagiats de moindre importance (les sources [1] et [2], à elles seules, sont à l’origine de plagiats qui couvrent plus de la moitié de l’article).

Dupin, le personnage d’Edgar Poe, met au crédit de « l’audacieux, au distinctif et brillant esprit » du ministre tenté par le chantage ce choix de montrer ce qu’il veut cacher. Les esprits des plagiaires dont les plagiats ont été étudiés sur ce blog méritent-ils autant d’éloges ? Ce n’est pas certain.

Jean-Noël Darde

MC, Université Paris 8

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On trouvera ci-dessous l’intégralité de l’article plagié par l’auteur de la thèse « De l’art au documentaire« . Il s’agit, comme il a déjà été précisé, de l’article GOSSIP, INTOX, BLUFF ET AUTRES RUMEURS, co-signés par Mathilde Villeneuve et Claire Moulène et dont la version originale a été publiée au  printemps 2007 dans le n° 41 de la Revue 02.

Pour rappel, les 2 courtes citations de cet article qui apparaissent dans la thèse du plagiaire correctement référencées apparaissent ci-dessous en vert; les larges emprunts non déclarés, les plagiats, en rouge.

Le monde de l’art regorge d’événements paranormaux et d’hurluberlus en tout genre. En 2006, on apprenait la mystérieuse envolée de la Devil’s Tower de Loris Gréaud dans le ciel du Palais de Tokyo, tandis que l’été dernier une série de dépêches AFP nous mettait sur la piste de la métamorphose inédite d’un petit village du Sud-Ouest envahi par une tribu de jeunes artistes. On dit encore qu’On Kawara est mort le jour où il arrêta d’envoyer ses cartes postales « I’m still alive », que Bas Jan Ader aurait rejoint une île déserte où il coule des jours heureux depuis son énigmatique disparition en mer en 1975, que la revue 02 devrait bientôt être rachetée par le géant Beaux Arts Magazine et qu’une tripotée de jeunes artistes carnassiers aurait déboulé il y a peu dans un marché de l’art contemporain en pleine explosion. Entre le canular, la propagande, le mythe, la légende urbaine et la théorie du complot, la rumeur constitue aujourd’hui l’un des phénomènes de transmission les mieux partagés. Sa volonté acharnée de se propager, en usant aussi bien d’internet que du simple bouche à oreille, procède de sa survie. Comme le virus, elle ne peut exister que dans son développement, quitte à s’adapter pour survivre. Des règles d’omission, en passant par l’imitation et la contagion, elle convoque sans relâche diverses stratégies, avec en chef de file, celle de la diffusion, qui constitue une méthode et une fin en soi. La rumeur est son propre média. Et se voit utilisée comme tel par les artistes. Affaire de distorsion de la réalité ou pure fiction, elle est contemporaine de son époque. Mais si elle prétend se baser sur une réalité (qui constitue en soi son motif), elle peine à prouver son existence propre, et tente d’y remédier en alimentant progressivement une fiction. Irrésistible, la rumeur s’énonce avant tout comme une histoire séduisante et improbable qui donne envie d’être racontée. Du simple « gossip » (qui participe au phénomène de starisa- tion de certains artistes contemporains) à l’impact social qu’amorcent certaines œuvres, la rumeur s’incarne sous diverses catégories que l’on pourrait recenser par degré de performativité. LA RUMEUR COMME FORME DE DÉMATÉRIALISATION DE L’ART Dans le prolongement d’un art conceptuel qui affirmait une certaine dématérialisation de l’œuvre d’art, tout en multipliant des énoncés forts de l’intention de l’artiste, la rumeur renonce définitivement à l’objet qui, absent, devient paradoxalement le sujet de toutes les attentions. Car si le sujet est désigné de manière permanente, il n’est jamais pleinement défini. Sans référence ni origine, la rumeur est par définition invérifiable. Dans une société de l’image et du « tout visible » qui aurait tendance à parasiter la mise à distance critique, la rumeur apparaît comme une ouverture possible sur le fantasme, comme la possibilité de colporter un imaginaire, un hors champ dans lequel le langage se fait et se défait avec une aisance partagée. Contrairement au système marchand qui engrange de plus en plus de « pièces » finies et commercialisables, délimitées et transportables, la rumeur se construit, circule, évolue, enfle, bref : vit sa vie. Pour le critique d’art et commissaire d’exposition Stephen Wright, elle serait à l’image de l’art lui-même mais sans auteur, sans œuvre et sans spectateur. Ce que Robert Barry atteignait quasiment dans son Telepathic Piece de 1969. Il déclarait à ce sujet : « You never know where it goes. You never know about art, you put art into the world, but you never know who sees it or what they are thinking about it. (1) » Et puisque nous parlons télépathie, revenons sur une œuvre emblé- matique de Gianni Motti, usurpateur s’il en est, qui en 1997 se trans- forma inopinément en psychiatre de renommée internationale exilé à Bogota. Pendant des mois, Motti reçoit de vrais patients, dans son faux cabinet de psychanalyse : chacun y va de sa petite histoire, raconte ses soucis du quotidien, les inégalités dont il fait les frais, le malaise économique et les méfaits du gouvernement en place. Qu’à cela ne tienne, Motti écrit une lettre au président en lui proposant une séance d’analyse, suscitant au passage la curiosité du journal d’opposition colombien. Sans réponse du président, Motti décide de le déstabiliser télépathiquement. S’ouvre alors une aventure artistico-politique où Motti se fait l’écho des doléances des Colombiens. Le 7 mars, l’artiste et des centaines de personnes se réunissent devant la résidence du président et lui communiquent mentalement « démission » ! Plus discret, le travail du belge Francis Alÿs œuvre également dans le sens de ces micro-fictions venues alimenter les tréfonds de sa ville d’adoption depuis une vingtaine d’années : Mexico. Nomade invétéré et grand marcheur, Alÿs explore, documente et poétise les flux urbains qui traversent la mégalopole. On le voit dans Sometimes making nothing leads to something s’immobiliser sur une place et regarder fixement un endroit précis dans le ciel. Des passants s’arrêtent alors à ses côtés pour tenter de saisir ce qu’il fait mine de scruter. Dans Zocalo, une vidéo de douze heures réalisée en 1998, il filme encore l’alignement spontané des gens sous l’ombre colossale du grand drapeau qui orne la place centrale de Mexico. Cette chorégraphie d’individus orchestrée par la lente progres- sion de l’ombre du drapeau enregistre au passage l’activité fourmillante de la place. Et c’est lui encore qui imagine le rassemblement mystérieux de centaines de personnes venues déplacer de 10 cm et à la pelle (!) une immense dune de sable. Tisser des fables qui confèrent à l’urbanité une dimension mythique, gérer les flux urbains, collectionner, ralentir le temps, provoquer et fabuler, tel est le credo de Francis Alÿs. Dans la lignée des métamorphoses et des interventions qu’il opère avec modestie, Francis Alÿs, avec l’aide de trois protagonistes, lance en 2000 une rumeur tout à fait fausse selon laquelle un homme âgé de 35 ans aurait inexplicablement disparu. La rumeur se propage, jusqu’à prendre des proportions inédites lorsque la police, mise au jus, en vient à dresser le portrait-robot du prétendu disparu… Chez le jeune artiste Loris Gréaud enfin, pour qui l’espace physique d’exposition ne constitue que la face émergée d’un projet artistique bien plus vaste qui s’invente en amont et a posteriori, la rumeur devient stratégie. Maîtrisant jusqu’à l’obsession les conditions d’apparition ou de rétention de son œuvre, il imagine une série de protocoles plus ou moins volatiles, plus ou moins contraignants, qui placent le spectateur au centre d’un rhizome circulatoire. Ainsi lors de son exposition personnelle en 2005 au Plateau, il imagine un environnement composé de violentes nappes sonores et d’une ambiance lumineuse saccadée par des effets stroboscopiques. En écho à son intervention fantôme dans un appartement de l’Île de la Cité, il imagine une architecture mentale et cosmique suggérée par des souffleries d’air. L’appartement lui-même, soit-disant métamorphosé par l’intervention discrète de géologues, climatologues et autres scientifiques, donna lieu à une série de rumeurs d’autant plus énigmatiques que très peu de personnes (essentiellement des professionnels du monde de l’art) avaient été invitées à y séjourner. Que se passa-t-il dans l’appartement de l’Île de la Cité ? En formulant l’interdiction formelle de raconter son expérience, l’artiste avait trouvé le meilleur moyen de provoquer le désir. Seule la radio colporta sur un mode quasi spectral des bribes de paroles enregistrées en direct par les « résidents » sur un répondeur mis à leur disposition. Plus récemment, lors de la dernière édition de la Frieze Art Fair, l’artiste présenta au sein d’un dispositif futuriste un ensemble de sculptures invisibles à l’œil nu. Un comble pour les collectionneurs de cette foire qui compte parmi les plus importantes du marché de l’art international. Seule preuve de leur existence réelle : la publication d’un catalogue contenant des photos en noir et blanc des formes agrandies et la présence, le soir du vernissage, de chercheurs du CNRS avec lesquels Loris Gréaud aurait collaboré. Ici encore c’est bien la parole qui apparaît comme le dernier faire-valoir de l’existence physique de l’œuvre telle qu’annoncée par l’artiste. ABSOLUTLY NEBULOUS La rumeur : paradigme de notre société virale et virtuelle De l’ordre de l’irrationnel et du pulsionnel, la rumeur est un monde en soi auquel il est difficile d’échapper. S’en défendre ou la démentir, c’est déjà l’entretenir, voire la confirmer. (Souvenons-nous au passage des interventions télévisées d’Isabelle Adjani dans les années 1980 ou plus récemment de Dominique Baudis qui, loin de mettre fin aux rumeurs dont ils étaient les victimes, contribuèrent à alimenter la suspicion à leur endroit). La rumeur nous transforme irrémédiablement en « co-auteur » et en complice au moment même où nous la répétons. « Stern est le premier, dans l’histoire des sciences sociales, à proposer un dispositif expérimental, unique et reproductible, en vue d’étudier la rumeur dans une chaîne de sujets, explique le chercheur Pascal Froisart, il présuppose des qualités de stabilité et d’unicité de la rumeur qu’aucun avant lui n’avait osé formuler : la rumeur s’échappe alors de son acception sonore dominante, la rumeur de la ville, et devient un phénomène caractérisable, mesurable, et, bien entendu, contrôlable. Ainsi on peut dater avec précision à 1902 la construction du concept ». Dans l’histoire de l’art récent, un certain nombre d’œuvres, qu’on appelle sonores, renvoient à cette conception originelle de la rumeur. Chez Loris Gréaud, on l’a vu, la radio joue un rôle prépondérant comme système de diffusion immatérielle de l’information par ondes magnétiques, tandis que l’artiste n’hésite pas par un dispositif d’infra basses à endormir les gens au sens propre comme au figuré. Plus proche encore de la notion de bruit telle que l’on qualifiait autrefois la rumeur, l’artiste et musicien Davide Balula construit par exemple une « phonogéographie subjective » lorsqu’il suit tel ou tel quidam des métropoles en enregistrant les sons qu’il traverse ou lorsqu’il propose un système portatif d’enregistrement et de diffusion sonore des déplacements et des lieux (Concrete Step, 2005). Reste qu’aujourd’hui, malgré ces pistes interprétatives, les spécialistes (sociologues, anthropologues et psychologues) qui s’évertuent régulièrement à résoudre le mystère de la rumeur par une formule scientifique, peinent à en donner une définition stable; d’abord parce qu’il est impossible de la caractériser historiquement tant elle est néces- sairement liée aux problématiques de son époque; ensuite, parce que mouvante, elle se répand aux travers de masses instables par définition. Faire une théorie sur la rumeur, c’est en effet, comme l’explique Pascal Froissart, « faire l’hypothèse première de la masse et donc imaginer un auditoire d’un type très particulier : une foule indifférenciée et anarchique, sans opposition ni sens critique, livrée presque entièrement au message rumoral qui semble traverser le groupe social de part en part, sans aucune résistance ». De la tradition orale aux images rumorales Une des dernières hypothèses en date, qui ne résout pas la question de la définition de la rumeur, pose cependant un postulat tout à fait intéressant, notamment au regard de l’art contemporain. Pour Pascal Froissard, on assisterait depuis quelques années à une évolution de la rumeur langagière vers « l’image rumorale ». Le plus vieux média du monde, à l’heure de la mondialisation et du formidable réservoir que constitue internet, connaîtrait ainsi des développements inédits. Le web, en effet, se distingue par l’extension géographique qu’il donne à toute information, puisqu’il opère à l’échelle de la planète, mais également par l’extension temporelle qu’il permet : la transmission d’une nouvelle est quasi instantanée. Sans oublier la capacité de stockage considérable et l’extension mémorielle qu’il induit. Il existe dorénavant une circulation massive d’images sans auteur pertinent que l’on pourrait qualifier de « rumeurs visuelles ». Autrefois réservée au champ de l’oralité, la rumeur bénéficierait donc aujourd’hui d’un pendant iconographique. La nature de ces « images rumorales » relèverait de trois grandes catégories : des images fausses et manipulées, des images vraies de l’ordre de l’exploit, du record ou de la prouesse et des images vraies mais mal légendées. Plus généralement, on l’aura compris, l’autre facteur de développement des images rumorales, c’est le numérique, les retouches et autres photomontages qu’il autorise. Ainsi, la rumeur constituerait le paradigme de notre société en réseau, virtuelle et virale. La multiplication des outils de propagation – mails, blogs, sites référencés et jeux en réseau (type Second Life) – contribuent à accélérer sa vitesse de propagation. Tentaculaire, elle procède de la dilatation dans l’espace et dans le temps et se transmet sans fournir de règles ni de mode d’emploi. PERFORMATIVITÉ DE LA RUMEUR L’impact de l’invisible sur le réel ? La rumeur, on l’a vue chez Francis Alÿs ou Gianni Motti, a toujours, plus ou moins volontairement, plus ou moins contre elle, vocation à rassembler. À l’heure où les croyances s’effritent, où l’on fait aussi de moins en moins confiance aux média officiels, la rumeur tient parfois le rôle du mythe unificateur. Connu pour son attitude de hacker d’événements politiques, sociaux, sportifs ou culturels, on pourrait dire de Gianni Motti qu’il entre dans la réalité par effraction. Utilisant les failles des médias, friands d’histoires paranormales, il jouit d’un rayon- nement international qui lui assure sa propre publicité (c’est lui par exemple qui revendiqua en 1992 un tremblement de terre en Californie, puis en région Rhône-Alpes. Lui encore qui assuma par voie de presse l’explosion de la navette Challenger en 1986, mais aussi la paternité de plusieurs éclipses de lune et autres chutes de météorites). Créer de l’être-ensemble, de la communion fusse-t-elle fondée sur des croyan- ces erronées, tel pourrait être le credo de Gianni Motti. Ainsi, en 1989, après avoir fait publier son propre avis de décès dans le journal local de Vigo, il convie la population locale à son enterrement. Placé dans un cercueil ouvert, il est porté en procession jusqu’à l’église puis jusqu’au cimetière avant de ressusciter miraculeusement au bord de sa tombe, provoquant l’ahurissement général. Chez Roman Ondak, même intention, sauf qu’ici la stratégie diffère. Rien n’est dit. La rumeur s’impose dans l’acte même qu’elle orchestre. À l’image de ces fausses files d’attente (Awaiting Enacted) organisées les jours de fermeture de musées. À travers ces actions amorcées par un petit groupe de personnes complices de l’artiste, la rumeur finissait par « produire » une foule, sans but ni autre intérêt que celui du pur rassemblement. Comme un happening qui n’est pas sans évoquer le phénomène des flash mobs qui sévissaient encore il y a quelque temps (regroupement spontané d’individus appelés par mail ou par sms à effectuer une action commune). Ici, c’est un motif emblématique de l’art (la file d’attente), et plus généralement de la société consumériste, qui est en jeu. « Circuler, il n’y rien à voir ! » semble nous dire l’artiste, transformant dans la foulée l’œuvre d’art en non lieu.

Rumeur et canular

La rumeur revêt parfois les apparences d’un autre élément perturbateur : le canular. Ainsi, lors de l’incontournable 1er avril, les journaux télévisés s’adonnent régulièrement à quelques facéties plus ou moins grotesques (nous faire croire que la Tour Eiffel s’est effondrée ou que la planète est à un tel niveau de détérioration qu’un équipage d’astronautes américains prépare actuellement une alternative sur Mars…). Mais le plus beau canular en date, à n’en pas douter – la preuve il n’attendit même pas le 1er avril – reste celui de la télévision belge qui annonça le 14 décembre dernier la sécession de la Flandre provoquant au passage un tollé dans l’opinion publique. Quant au monde de l’art, il y rencontre un écho particulièrement favorable. On se souvient par exemple de l’affaire, mémorable, des « cartons piégés ». Pendant plusieurs mois, critiques d’art et collectionneurs reçurent une série de cartons d’invitation d’expositions soit-disant organisées par le galeriste Emmanuel Perrotin, le Jeu de Paume, ou la galerie Chantal Crousel. L’affaire relayée par bon nombre de médias, mis en exergue, comme le souligna la critique d’art Elisabeth Leibovici dans Libération la « psychopathologie de la vie artistique française ». Autre épisode fameux du petit milieu de l’art contemporain : le coup monté de deux artistes contestataires lors de la Biennale de Tirana en 2001. Les conspirateurs empruntèrent à cette occasion l’identité du très controversé Oliviero Toscani pour faire passer une série de faus- ses œuvres douteuses (entre pédophilie et propagande islamiste) qui suscitèrent pourtant l’enthousiasme délirant de nombreux critiques et commissaires internationaux. La rumeur comme média Lors de l’exposition Rumour as Media, organisée à l’automne dernier à Istanbul, le critique d’art Stephen Wright défendait l’idée selon laquelle la rumeur ne dépendrait d’aucun média, puisqu’elle constitue en elle-même son propre média. L’exposition conçue autour de l’aspect performatif de la rumeur, de sa corrosivité et de son effectivité, tentait d’ana- lyser la manière dont les artistes l’utilisent pour déconstruire, manipuler et exploiter les informations qu’elle engendre. À la fois médium et con- tenu médiatisé, elle est, comme le souligne le sous-titre de l’exposition, « ce que tout le monde sait ». Caractérisée par son indétermination, mais aussi son anonymat, son déficit d’identification et d’authentification, elle est toujours spécifique au contexte dans lequel elle évolue. Pour vivre, la rumeur a besoin d’une conscience collective dans un temps et un espace donné. D’où l’idée qu’elle serait en quelque sorte un contre- pouvoir, capable de décrédibiliser l’information officielle. Le meilleur exemple récent est sans doute celui du 11 septembre et son lot de rumeurs plus ou moins fantasques dont l’artiste français Alain Declercq se fit l’un des porte-parole dans un film aux frontières du documentaire et de la fiction. Dans Mike il imagine une fiction autour d’un ancien agent de renseignement en charge de démanteler un réseau terroriste. Le film, qui dure 26 minutes et a été réalisé sur plus de trois ans, est découpé en quatre parties, quatre cassettes, que l’agent aurait confiées à l’artiste lors d’une rencontre en 1999 à l’ambassade de France à Singapour. « Volontairement confus et crypté pour éviter tout dogmatisme, même si certains plans sont très référencés », le film recense un flot d’images dont les sources ne sont jamais révélées et qui montrent tour à tour une prière musulmane en plein cœur du Caire, à quelques mètres de l’ambassade des États-Unis, des scènes d’avion en direction de Washington, des véhicules du corps diplomatique, une feuille de route, des soldats ou encore des vues du Pentagone. Jouant volontiers sur les cordes d’un imaginaire contemporain traumatisé, le film entretient une tension latente, ponctuée de quelques touches d’humour que l’on retrouve dans les documents que l’artiste présente également dans l’exposition : « C’est la table de travail de Mike, on y trouve des cartes, billets d’avion, polaroïds, valise à double fond et un stock de manuels d’évacuation de différentes compagnies aériennes. […] Les soupçons sont encore très forts par rapport à un certain nombre de choses, et notamment l’attentat du Pentagone, il est aujourd’hui clair pour de nombreux spécialistes, qu’il ne pouvait s’agir d’un avion, mais d’un missile » décrypte encore Alain Declercq qui fit les frais à l’époque d’une perquisition musclée de la part de la brigade anti-terroriste! L’artiste libanaise Lamia Joreige qui participait également à l’exposition Rumour as media, revient sur les non-dits liés à l’histoire récente du Liban. Partant de la tragédie de son oncle décédé parmi les 125 000 personnes portées disparues le long de la ligne verte qui partage Beyrouth en deux, elle s’entêta à poser la même question aux individus qu’elle croisait sur son chemin : « Avez-vous entendu parler de quelqu’un qui a disparu ici ? », recueillant au passage un tas d’histoires incompatibles qui réouvraient le débat national. Inscrit dans un même contexte de violence et d’insurrection, Walid Raad fonde en 1999 l’Atlas Group, une pseudo association qui collecte des archives documentant l’histoire contemporaine du Liban. Parmi les centaines de documents qu’il présente lors de conférences on ne peut plus sérieuses, on trouve en vrac des photos témoignant de la vie libanaise en temps de guerre, des clichés de courses hippiques assortis d’annotations ou de voitures utilisées lors d’attentats… Soit un panel d’archives des guerres civiles du Liban articulé autour d’une réflexion sur les représentations possibles d’un pays en guerre, qu’il recense, documente, archive, compte, ordonne. Sauf qu’ici la nature des documents, quoiqu’apparaissant tous authentiques, reste à déterminer. Si Walid Raad est bien membre de la Fondation Arabe pour l’Image qui documente l’histoire récente du proche Orient et du Maghreb en collec- tant des images chez des particuliers et du côté des archives nationales, le travail qu’il effectue pour l’Atlas Group est beaucoup plus ambigu, oscillant entre recherche de vrais documents et production de fausses archives. Et c’est dans cet espace trouble, entre ce que nous savons, ce qui nous est donné à voir et à comprendre, et ce que nous ignorons que Walid Raad construit ses expositions. À la Maison Rouge, au printemps 2006, il expose une vidéo officiellement présentée comme l’enregistre- ment d’un agent de sécurité anonyme qui tous les soirs détournait sa caméra de surveillance sur la Corniche vers le coucher de soleil sur la mer, dont, vivant à Beyrouth-Est, il avait été privé pendant toute la guerre. Encore une fois, le document a le poids du réel. En jonglant ainsi entre fiction et documentaire, Walid Raad interroge la nature des mémoires collectives et individuelles et leur rôle dans la formation des récits historiques admis. Pour l’artiste Walid Sadek, « il est important de considérer la rumeur non pour maintenir les racines visibles de la vérité et de la justice mais pour renforcer le commencement contingent de tout acte de parole et la destruction inévitable de tout édifice. (2) » Mathilde Villeneuve et Claire Moulène

1. « Interview with Robert Barry by Raimundas Malasauskas », Newspaper #36, March / April 2003.

2. « Une affaire de mots », Walid Sadek, Parachute #108, 2002.

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1 réponse to “* PLAGIATS : la bibliographie-alibi ou la stratégie de la lettre volée”

  1. Ahmed Abdelali, PhD
    New Mexico State University

    As a reaction to read the article published by Majed SANAN, Mahmoud RAMMAL, and Khaldoun ZREIK at ICTTA’08 (3rd International Conference on Information & Communication Technologies : from theory to applications); I was very astonished with the audacity of the 3 authors to copy-paste entire sections — Sections 3 and 4 copied to the letter from my PhD thesis 2006 — with no concerns about any ethics and morals especially when publishing this article at reputable IEEE conference.

    Certainly, the least to describe this is « this is wrong ». I am wondering what are the reactions of the co-authors learning that their article contain such flaws?

    How can a doctoral student and his thesis advisor allow himself to commit such mistake?

    A doctoral student and a thesis advisor should and must know how to cite and report other works and how properly can report and review peers work as learnt during their curriculum and academic career. If something is missing or there are other reasons behind this, I would greatly like to hear from the authors.

    As for the organizing committee and the IEEE France Section, they may always have a way around this, usually they do state in the calls « original and unpublished work ».
    May be the reviewers are to blame how they did miss this or it is caused by the lack of knowledge of the area they were reviewing.

    Regards,
    Ahmed Abdelali, PhD
    New Mexico State University

     

    Ahmed Abdelali, NMS University